Les gorges de Todgha - Dar Tiwira, « Maison trésor » en langue berbère

Samedi 18 février 2017, deux heures et demi du matin : deux taxis marocains déposent une dizaine de grimpeurs devant la maison d'hôte Dar Tiwira, dans le petit village de Tizgui, aux portes des gorges de Todgha...

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Dar Tiwira, « Maison trésor » en langue berbère... C'est en effet ce que nous avons l'impression de trouver, accueillis au milieu de la nuit par Allal, accompagné d'un plateau de thé à la menthe fumant et de dattes. Les discussions grimpesques vont déjà bon train autour de ce pot d'arrivée réconfortant. Après une courte nuit de sommeil dans nos chambres typiques des kasbah marocaines, aux murs épais ornés de tapis colorés, direction la terrasse sur le toit pour admirer de jour le paysage qui s'offre à nous. Les montagnes orangées à perte de vue, les amandiers en fleurs, les cactus et les palmiers, inondés de soleil, composent un paysage minéral et végétal, savant mélange d'aridité et de douceur.

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Poussés par les effluves de fleurs d'amandiers et motivés par un petit déjeuner de roi, nous nous laissons guider par Abdul, le frère d'Allal, vers un petit secteur bien au chaud pour se dérouiller un peu tout en découvrant les lieux. Nos hôtes connaissent les gorges par cœur, ils nous parlent sans problème de « la petite réglette main droite un peu au-dessus du point dans le troisième longueur, là il y a un pas de 6b, mais c'est 5c si tu passes à gauche, et après tu as un relais avec un seul maillon »... ce genre d'indications plutôt utile quoi.

On apprend que de grands noms ont fait leur passage dans les gorges, tels Stéphanie Bodet et Arnaud Petit, Wolfgang Güllich, et autres débutants en escalade.   

C'est super enthousiasmant de voir ces jeunes berbères aussi motivés par la grimpe, aussi passionnés par cet immense terrain de jeu. Allal est très instruit de l'histoire de l'escalade et des différentes manip' de cordes, du genre faire un rappel à une main en assurant un second tout en lisant le dernier numéro de Grimper, et Abdul grimpe plutôt fort, il a fait toutes les voies jusqu'à 7c, (la voie la plus dure des gorges étant cotée 8b+) et a contribué à l'ouverture d'une grande partie des couennes et grandes voies. Ils essayent tous deux de développer l'escalade dans les gorges, en contournant les obstacles mis sur leur chemin par la Fédération des Sports de Montagne du Maroc. Ils sont par exemple en train de travailler sur un nouveau topo, incluant un peu plus d'informations sur l'histoire de l'escalade à Todgha. Avec leur petit club local, ils initient aussi quelques enfants du village, guident des touristes, en espérant accéder à plus de reconnaissance officielle (il n'est pas possible d'obtenir un diplôme de guide au Maroc, pas plus qu'un DE).

En entendant les difficultés qu'ils rencontrent pour développer et pratiquer leur passion, on mesure notre chance d'être dans une association fédérée et dynamique, qui nous permet d'ailleurs d'être ici.

Mais revenons à nos moutons, enfin plutôt à nos chèvres, qui sont légion ici : nous concluons cette première journée de grimpe par un dîner à la hauteur du petit déjeuner. Les repas se révéleront d'ailleurs tous meilleurs les uns que les autres : les poivrons marinés, l'huile d'olive (que certains, dont nous ne citerons pas le nom ici, avaleront par gorgées), le msemen, sorte de crêpe divine, le amlou, une pâte à tartinée à base d'amandes, huile d'argan et miel, sans parler des tagines et autres couscous, combleront les grimpeurs affamés.

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Le lendemain, notre groupe de grimpetreziens est au complet : six autres grimpeurs sont arrivés pendant la nuit, prêts eux aussi à en découdre avec le calcaire local. Finalement, c'est lui qui aura raison de nous ; quant à la couture, il s'agira plutôt de celle que nous ferons sur nos doigts écorchés par certaines prises trop « sharp », selon les mots d'Abdul.

En effet, le calcaire orangé d'ici ne ressemble en rien à celui que certains peuvent connaître en Bourgogne : les prises très sculptées attirent les doigts, les accueillent et... les gardent parfois.

Malgré cela, chacun trouvera son compte tout au long du séjour : Hubert l'Infatigable, en dépit de son bain involontaire dans la rivière (probablement séduit par une sirène locale), enchaînera les initiations grandes voies, tandis que d'autres préféreront se tourner vers les couennes un peu dures entrecoupées de siestes, plutôt que d'errer à la recherche d'un relais bien caché ou de s'entasser à six sur un rappel (toute ressemblance avec un fait réel est bien entendu fortuite).

Ces petites boutades entre grimpeurs de couennes et amateurs d'envolées plus longues n'auront pas empêché chaque cordée d'explorer au moins une grande voie durant le séjour.

De notre côté, accompagnés de Laura et Nico, nous nous sommes lancés dans un itinéraire récemment équipé, et pas encore vraiment nettoyé, sur une face imposante qui nous faisait de l’œil depuis notre arrivée, la Paroi du Levant. Durant ces 8 longueurs (autour de 5c bien tassé), le bêlement des chèvres, les appels à la prière et le parfum des plantes nichées dans les creux du rocher se mêlent au fracas des chutes de pierre, nous immergeant dans une ambiance assez surréaliste. La voie est riche, alterne entre passages fins en dalle, légers surplombs, fissures et dièdres. Au terme de ces 280 mètres de très belle escalade, la descente à pied par les plateaux jusqu'au village est elle aussi superbe. Entre les campements nomades et les monts enneigés de l'Atlas au loin, on en prend plein la vue. L'endroit prend d'ailleurs un malin plaisir à relativiser notre performance en mettant sur notre route un berger et son fils, reconduisant leur troupeau de quelques centaines de chèvres dans les hauteurs après les avoir emmenées boire dans la vallée.  Cette marche dans les pierriers qui nous apparaît comme exotique, magnifique, constitue le quotidien de ces gens, y compris les enfants. Se rendre compte de cela remet en perspective notre notion d'effort, d'exploit, notre pratique même du sport. Cette vie rude de montagne n'entame pas le moins du monde la générosité du petit berbère, qui nous invite spontanément à venir boire le thé... tout en haut de la pente raide que nous venons de descendre ! L'hospitalité avant tout...

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Cette hospitalité, beaucoup d'entre nous en feront l'expérience, invités par Mohamed pour déguster un sucre au thé à la menthe (non, non, ce n'est pas une faute de frappe, l'ingrédient principal est bel et bien le sucre) et profiter d'une leçon sur la fabrication des tapis traditionnels. Même si on sent que le but est de vendre, la volonté de partager un peu de culture et la fierté du travail fait à la main est bien présente, et c'est vraiment passionnant de comprendre les significations des différents symboles, des couleurs..

Autre facette de la culture berbère : le souk, mélange détonnant et étonnant d'étals aux effluves épicées, de poules vivantes, de morceaux de viande sanguinolents accrochés au soleil, de délicieuses dattes, et autres écrous et chaînes de tronçonneuse. Heureusement qu' Allal nous guide à travers ce dédale oriental et nous instruit des diverses subtilités des produits et coutumes que nous découvrons.

Si l'on a beaucoup évoqué la beauté des paysages, la délicieuse cuisine, les odeurs épicées et le toucher particulier de la roche, nos oreilles n'ont pas été en reste ! En effet, notre ami Abdul, non content d'être un excellent grimpeur, est aussi musicien, et c'est dans un petit bar en cours d'aménagement que nous avons rencontré des membres de son groupe, armés d'un sourire communicatif et de leurs instruments traditionnels. Les rythmes entraînants des percussions et les chants envoûtants d'Abdul et sa clique nous ont transportés, certains ne sont d'ailleurs toujours pas tout à fait revenus...

Quitter Tizgui après tant de belles découvertes et un accueil aussi chaleureux n'aura évidemment pas été facile ; un peu plus que des morceaux de doigt seront restés sur place, et l'envie de revenir donner vie à ces souvenirs a bien vite germé sous nos casques de grimpeurs.

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Inch'Allah...